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Et ces fleurs bleues?
Vous ne les avez pas vues? Regardez-les, elles se cachent, elles sont toutes petites, mais elle sont là, mystérieuses, dès les premières pages: 
"Ici, dit le duc, la boue est faite de nos fleurs... bleues", ajoute Sthène. Elles semblent ensuite disparaître, mais ce sont elles qui enveloppent tout le récit, et nous les retrouvons à la fin, quand le cycle est achevé. 
Ainsi, nous baignons dans le bleu, le bleu des rêves, des contes, du mystère, le bleu de la tendresse, et, en sourdine, les blues des aléas et des misères de la vie.
Nous aborderons successivement ici:

1) le thème du rêve; les légendes et le phénomène du songe,
2) le sujet du roman, 
3) les sentiments.

1- Bleu des rêves.
La citation de Platon mise en exergue, "rêve pour rêve"! nous avertit d'entrée de jeu: 

• tout, ici, flotte dans une demi-réalité, dans un univers de contes et légendes. Un passant "s'évapore", un chasseur se perd dans la forêt, une fée apparaît dans une chaumière, deux chevaux visitent Paris en touristes et parlent comme des humains. 

• Les ouatures, "sont bêtes vives et couinantes qui courent en tous sens sur leurs pattes rondes. Elles ne mangent rien de solide et ne boivent que du pétrole. Leurs yeux s'allument à la nuit tombante". 

Bleu de la nuit des temps. Le temps qui va et vient renouvelle les mêmes histoires et ramène les grands mythes...
Le récit commence sur une précision de bon augure: 
"Le vingt cinq septembre douze cent soixante quatre", cette date semble nous établir solidement dans l'Histoire... 
Aussitôt, un prodige inexplicable nous plonge dans un passé lointain, où ressurgissent et se mêlent en désordre les peuplades qui habitèrent notre sol et les conquérants qui l'envahirent tour à tour... 
bientôt, les noms familiers de Notre-Dame et de saint Louis, nous donnent quelques repères... 
mais un nouvel avatar nous entraîne au temps des péniches, des bicyclettes et du permis de conduire... 
nous tentons de reprendre haleine dans cette ère qui est la nôtre... 
hélas! la voix d'un cheval nous ramène au Moyen-Age...
nous avons pas eu le loisir d'y visiter la nouvelle cathédrale que les temps modernes s'imposent à nouveau...
et ces alternances, ces chevauchements, ces aller et retour vont nous ramener...

Jusqu'au Déluge! Avouez  que c'est une surprise! Il a fallu cependant quelques indices pour nous mettre sur la piste... Prenons, si vous le voulez bien, nos livres à la page 274. 
Les deux chevaux qui veulent entrer dans l'Arche, (des animaux dans une arche, ça ne vous dit rien?) argumentent avec Cidrolin, 
"il se fait tard", dit Sthène (voilà une parole de l'Évangile de Jean), "et Cidrolin fit comme Sthène lui avait dit", cette fois, pas d'erreur, c'est dans la Bible: nous voici au récit de la Genèse: 
"Noë fit tout ce que Yawhé lui avait dit". 
En voici des preuves:
Fleurs Bleues: "Il trouva là plusieurs dames ou demoiselles... ses hôtes ne cessaient pas de se multiplier... de nouveaux venus", 
Genèse: "Noë, avec ses fils, sa femme et les femmes de ses fils entra dans l'arche... Des animaux... des oiseaux... de tout ce qui rampe au sol... une paire entra dans l'arche, un mâle et une femelle". 
Fleurs Bleues: "C'est alors qu'il se mit à pleuvoir, il plut des jours et des jours", 
Genèse: "la pluie tomba du ciel pendant quarante jours et quarante nuits".
Fleurs Bleues: Après cela, la péniche de Cidrolin "finit par échouer au sommet d'un donjon. Les passagers y prirent pied", 
Genèse: "L'arche s'arrêta sur les monts d'Ararat... Noë sortit avec ses fils, sa femme, les femmes de ses fils et toutes les bêtes...".
Fleurs Bleues: "L'eau s'était retirée dans ses lits et réceptacles habituels", 
Genèse: "les eaux se retirèrent graduellement de la terre".
Fleurs Bleues: "Une couche de vase couvrait encore la terre", 
Genèse: "les eaux séchèrent sur la terre".
Fleurs Bleues: "Mais ici et là s'épanouissaient déjà de petites fleurs bleues", 
Genèse: la colombe envoyée en reconnaissance par Noë revient, "et voici qu'elle avait dans son bec un rameau tout frais d'olivier"
Le récit biblique, lui-même, reprend, nous le savons, une très ancienne légende mésopotamienne, l'Épopée de Gilgamesh, qui décrit l'énorme déluge survenu vers le début du quatrième millénaire (av. J.C.) aux confins de l'Iran et de l'Irak. 
(La découverte sur le cours inférieur de l'Euphrate et du Tigre d'une
couche sédimentaire alluviale de trois mètres d'épaisseur, vierge de tout vestige humain, et séparant deux strates archéologiques datant de deux époques successives confirme la réalité de ce cataclysme).

Voici quelques correspondances: Et toute l'humanité s'était transformée en glaise... Les champs avaient pris la forme régulière d'un toit... Durant six jours et six nuits, le vent et le déluge faisaient rage... Le bateau se posa sur la montagne Nisir... On envoya une colombe".
Faut-il donner un sens à ce retour aux origines? 

En plein rêve. De l'indifférence méprisante à l'intérêt passionné, personne n'échappe au rêve. 
Le gardien Labal, qui ne cesse jamais de "faire fonctionner sa matière grise", affiche fièrement son ignorance totale du phénomène: quand on passe son temps à penser, ce qui est "un vrai travail", on ne peut se permettre une occupation futile comme le rêve.
Interrogé par le duc, qui s'étonne de rêver souvent et se demande si cela lui est envoyé par le diable ou par le bon dieu, l'abbé Riphinte ne donne pas d'opinion très précise, selon lui, comme la plupart des rêves traitent de choses banales, ils ne peuvent être ni bons ni mauvais.
Pour Lalix, il ne faut pas leur accorder d'attention: 
"c'est mal élevé et pour ainsi dire, malpropre" de raconter ses rêves, "les gens, ils se croient des petites merveilles... ils s'attribuent une importance... Alors, s'il fallait par dessus encaisser le récit de leurs rêves..." et Cidrolin doit bien avouer que, d'un autre point de vue, raconter un rêve peut être dangereux "à cause de la psychanalyse et des psychanalystes", qui "interprètent les rêves. Et ça va loin. Ils découvrent le fin fond des choses." 

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