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Rubrique Littérature
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LES
FLEURS BLEUES de
Raymond Queneau.
Les
fleurs bleues de la
tendresse.
XIII-
Le
meilleur ami de l'homme
---fin
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Le meilleur ami de l'homme.
Deux personnages qui comptent, ce sont Démo/Sthène et Stèphe. Sans leur présence allègre et désinvolte, le récit perdrait beaucoup de sa saveur.
Ce sont non seulement des montures qu'on prépare avec soin, qu'on nourrit du meilleur foin, qu'on loge dans la plus belle écurie, et dont l'allure vive ou paresseuse rythme toutes les chevauchées, mais des compagnons à part entière. On parle d'eux en leur donnant leurs noms, comme on le fait pour les autres héros. Leurs avis et leurs agissements ont autant d'importance que les leurs.
Ils ont leur propre caractère et ils peuvent exprimer leurs exigences et leurs opinions puisqu'ils sont doués de parole (un privilège dont il ne faut pas user en milieu étranger, sous peine d'être soupçonné de sorcellerie).
Ainsi, sous l'oeil admiratif d'une mule, Stèphe fait part à son ami Sthène de sa répugnance à l'idée d'être chargé de l'abbé Riphine:
"J'espère qu'on ne va pas me le coller sur le dos. Je n'ai pas envie de faire la conversation avec lui. Il est discutailleur comme pas
un".
Ils prennent part aux propos de leurs maître sur un pied d'égalité: "Et nos
juments", complète Sthène, à l'énumérations faite par le duc des horreurs que les ennemis vainqueurs infligent aux dames.
Malgré les problèmes que pose leur séjour à Paris, il n'était pas question de les laisser
"dans quelque pâturage normand ou berrichon". Quant à les mettre ici dans une pension,
"jamais!" , "ils n'ont pas vu la capitale depuis longtemps et ils sont curieux de parcourir les nouveaux quartiers". Mais la circulation leur cause quelques ennuis:
"Sthène et Stèphe ne sont pas habitués à tout ce trafic".
Comme tout un chacun, ils ont leur dignité - ils portent "des bottes
morales"- et ils "font la
gueule" si on oublie de s'occuper d'eux. Le duc s'inquiète:
"Ils doivent se demander ce qu'on devient... ils préfèrent être tenus au courant... Ce sont de braves
bêtes", s'excuse-t-il, et il se fait des reproches d'avoir pu un instant les oublier dans ses projets:
"Deviendrais-je égoïste?... Je ne laisserai pas deux amis se morfondre tandis que moi, je
m'amuse".
Cidrolin, perplexe, observe les animaux, "Ils ont l'air de
chevaux", mais il remarque ensuite: "ce qu'ils ont l'air intelligent!"
En fait, Stèphe parle peu, c'est Sthène qui a le plus de relief et qui, en général, se manifeste.
Entre le duc et lui, il y a une complicité extraordinaire. Il est "son percheron favori", "un sage
dada", dont son maître déclare avec
fierté: "Il parle, il sait même lire, il est en train de lire le Voyage du Jeune Anacharsis en Grèce, qu'il apprécie
beaucoup".
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C'est le confident des ses découragements, le conseiller de ses préoccupations. Son
"gai babillage" le distrait, et le duc s'inquiète lorsque sa
monture demeure silencieuse: "Eh bien, mon bon Démo, nous ne sommes pas bavards
aujourd'hui!"
L'installation sur la berge de la Seine n'est pas du goût des deux chevaux, le duc le sent et vient
s'enquérir: "Alors, mon bon Démo, comment vous trouvez-vous
ici?", embarrassé par sa réponse peu enthousiaste, il cherche à
l'apaiser: "Patience, patience, mon bon
Sthène".
Lui, si entier, il supporte avec attendrissement les fantaisies et les écarts de son
cheval. "Je peux chanter? - Si tu veux, mon bon
Démo". Souhaite-t-il converser?
"Parle, mon bon Démo, dit le duc
affectueusement". S'il choisit son chemin,
"le duc n'y contredit pas". Si, pris de panique devant un mammouth, il hennit
"Sauve qui peut! ". Il se met à donner des ordres
maintenant,"dit le duc avec indulgence".
Il peut même se permettre "de doux
reproches" à son maître.
S'il a trop parlé, le duc l'absout: "Mon bon Démo, tu as eu
raison", mais il doit reconnaître parfois que
"Sthène a été bien imprudent, il n'a pas su tenir sa
langue".
Car notre animal, un brin vaniteux, ne déteste pas affirmer sa supériorité sur ses congénères, sur Stèphe, par exemple, et même sur le cheval d'Achille, ni étonner les stupides
humains, "vive les préadamites!"
clame-t-il devant un postillon ébahi. Désireux d'avoir sa statue, il monte un jour tout un plan pour gagner le duc à ses vues. Celui-ci n'est pas dupe, il connaît bien les faibles de son vieil ami, mais il les accepte.
Ainsi, toute la tendresse, toute la sollicitude, toute l'indulgence dont est capable cet étonnant duc d'Auge, il les dispense à son
"bon Démo".
Comme s'il fallait des animaux pour humaniser certains êtres...
Pour conclure.
Nous allons laisser ici nos considérations. Peut-être sont-elles déjà trop longues.
On pourrait encore en ajouter d'autres, tant ce texte fourmille d'inventions, d'idées, de pistes.
Avouerai-je qu'en commençant cette étude, je n'y croyais guère? Je me suis vraiment laissé prendre au jeu, j'ai bien ri et j'ai appris beaucoup de choses, en particulier, une décontraction joyeuse et une approche nouvelle du Français.
Vais-je pour autant vous conseiller d'adopter le style quenellien? Certes non! Pour se permettre une telle liberté dans la forme, il faut, croyez-moi, une maîtrise extraordinaire de notre belle langue, et il faut avoir réellement des choses à dire!
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Ce texte, voyez-vous, il a l'air "tout con", mais il est hilarant parce que, si on y fait attention, il n'est "pas du tout si con que ça
"!
Alors, Chapeau, monsieur Queneau!
Texte de
Jacqueline Masson
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