Réflexions sur la nature de l'esprit
par Pierre Lachièze-Rey
p.9
p:1
Introduction
p:2 Nature et hasard
p:3 L'esprit directeur
p:4 La répétition intentionnelle
p:5 Esprit et mémoire
p:6 Esprit et fidélité à soi
p:7 Esprit et progrès par
l'intersubjectivité
p8: Les problèmes de
l'intersubjectivité
p9: Caractéristiques de
l'esprit
p10: Esprit et liberté
p11: Liberté et valeur -
Conclusion
Caractéristiques
de l'esprit
Ainsi
donc les deux premières caractéristiques de l'esprit sont
l'éternité, principe de la reproduction indéfinie, - et l'adéquation
à toutes les formes spirituelles possibles, principe de jugement et de
réalisation.
Aux
observations précédentes, j'ajouterai les remarques suivantes qui ont
été omises. D'abord en ce qui concerne les rapports des deux esprits,
ce rapport est comme nous l'avons remarqué, analogue à celui de
l'esprit et du monde extérieur, l'un servant de matière à l'autre. Or
il est bien vrai que la matière est rebelle, mais sa rébellion ne
pénètre pas dans l'intimité spirituelle et n'établit avec elle
aucune complicité. Au contraire, dans le domaine des deux esprits,
l'entraînement et la résistance de la nature sont intérieurs. Et il
se trouve des cas où la nature agit dans la direction de l'esprit et
parfois d'une manière opposée; ainsi la nature est plus ou moins
rebelle; d'autre part, sa puissance d'entraînement ou de résistance
peut être quelconque comme d'ailleurs plus ou moins grande la force de
l'esprit qui doit le diriger ou s'y opposer. Toutes les modalités sont
ici possibles et nous n'avons pas l'intention de les examiner ici. Mais
nous ne prétendons pas à la manière de Freud, comme on a pu s en
rendre compte, que la nature est foncièrement mauvaise; elle ne l'est
que dans les cas pathologiques qui relèvent de l'aliéniste; tout ce
qu'on peut dire c'est qu'elle n'est vraisemblablement ni entièrement
mauvaise, ni entièrement bonne, mais l'un ou l'autre dans des
proportions variables.
Quant
à la caractérologie, aux remarques que nous avons présentées, il y a
lieu d'ajouter, outre la critique générale qu'on peut faire d'une
classification et d'une topographie des caractères, qu'elle ne pourrait
avoir quelque réussite que Si l'on pouvait établir une solidarité
constante entre certaines dispositions ou directives fondamentales. Or
la question est beaucoup plus subtile. On trouvera ici des exceptions et
des ensembles beaucoup plus nuancés qu'on ne peut atteindre de cette
façon mais seulement par l'intuition susceptible de saisir
l'individuel. Il faut ajouter que la solidarité qu'on voudrait mettre
en classes et en rubriques peut être de deux sortes: causale ou
rationnelle. Or le procédé causal seul répondrait à la question. En
effet le procédé rationnel suppose l'installation intuitive dans le
caractère individuel lui-même comme idée directrice en vertu d'une
hypothèse concrète que l'on peut modifier indéfiniment selon les
nécessités.
La troisième
caractéristique essentielle de l'esprit, celle qui nous fait d'ailleurs
pénétrer le plus profondément en lui est le pouvoir de judication. Le
pouvoir de judication a toujours été considéré comme le pouvoir le
plus caractéristique de l'homme. En fait ce pouvoir se confond avec la
liberté que Descartes envisageait comme capacité de dire oui ou non,
de prolonger ou d'arrêter une délibération. Malebranche qui pourtant
ne reconnaissait ni à l'homme, ni à la matière un pouvoir de
causalité accordait à l'homme le pouvoir de juger comme un pouvoir
immanent. D'autre part Descartes, envisageant toutes les facultés
humaines, les trouvait toutes limitées. Il considérait que seule la
liberté était égale en Dieu et en l'homme, car, si en Dieu, elle
pouvait s'étendre à beaucoup d'objets qui échappaient à la liberté
de l'homme, considérée en elle-même, elle était indivisible
puisqu'elle consistait dans le pouvoir d'affirmer ou de nier. Au point
de vue moderne, nous dirons que la liberté et la possibilité de juger
ne connaissent pas de limites, car tout leur est soumis, même Dieu que
l'homme est libre d'accepter ou de refuser, même le réel dont l'homme
peut toujours admettre qu'il a une valeur ou n'en a pas, même
l'histoire dont le marxisme a dit: c'est elle qui nous juge, alors que
c'est nous qui pouvons et devons juger l'histoire. Ainsi donc,
conformément à l'opinion de Descartes, c'est la liberté du jugement
qui affirme le plus nettement la transcendance de l'homme.
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10- Esprit et
liberté
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