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LE CID  de Corneille (p.2)

- Hélas! Pendant que nous raisonnons, pour Rodrigue.
Tout bascule (I-3, I-4)!  

_________________________________

p.1- Beau comme Le Cid
p.2- Pour Rodrigue tout bascule
p.3- La plus difficile victoire
p.4- Vers une décision
p.5- Une difficile rencontre
p.6- Grand affolement!
p.7- L'amour aimé d'honneur
p.8- Le mouvement en général
p.9- Coup d'essai, coup de maître
p.10- Un style ---
p.11- Vers la victoire finale.
p.12- Le dialogue final

Une nomination convoitée par les deux pères et accordée par le roi à celui de Rodrigue va brouiller les deux amis. Aveuglés, l'un par sa fierté blessée, l'autre, par l'image qu'il veut conserver de lui-même, ils oublieront les projets de mariage et les enfants qui comptaient sur eux pour assurer leur bonheur.

Le plus agressif est naturellement le comte Don Gomès, furieux de se voir préférer un glorieux vétéran (Don Diègue a carrément vingt ans de plus que lui, il est à la retraite).
Ce rang, dit-il, "n'était dû qu'à moi", "vous l'avez eu par brigue", "le roi fait honneur à votre âge".

Puisqu'il s'agit d'apprendre au fils du roi le métier des armes, c'est à lui, actuellement le meilleur guerrier d'Espagne, que ce rôle aurait dû revenir, et il met cruellement Don Diègue au défi de pouvoir encore porter les armes ou se montrer de quelque utilité..
Le vieux capitaine, d'abord conciliant, ne supporte pas longtemps d'entendre ses qualités mises en doute. Il attaque à son tour:

"Vous voyez toutefois qu'en cette concurrence,
Un monarque entre nous met quelque différence
".
Alors commence un duel verbal (213-224), où se répondent attaque et contre attaque de paroles blessantes, de comparaisons, d'oppositions, une stichomythie, échange rapide de répliques vers à vers, durement rythmée par des coupures en 6/6, où les idées, les mots, les tournures sont vivement repris par l'adversaire: "méritais" >"mérité", "mieux >"mieux", "qui l'a..." > "qui peut...", "honneur" >"honneur", "le roi" >"le roi".

  • Don Diègue prononce l'irréparable:

"Qui n'a pu l'obtenir ne le méritait pas".

  • Alors la violence se précipite, dans le rythme brisé: 6/1/1/4, et dans le tutoiement:

"Ne le méritait pas!/ moi!
/ vous.
/ ton impudence..."
Elle se réalise enfin, dans la gifle qui déshonore le vieux guerrier en lui prouvant qu'il est effectivement incapable d'exiger par l'épée réparation de l'injure.
Le monologue (I-4) qui suit ce drame est poignant. Sous le regard condescendant de celui qui avait été son lieutenant, Don Diègue vient de comprendre sa déchéance.

"O rage! ô désespoir! ô vieillesse ennemie!"
Trois cris en progression, 2- 4- 6, enchaînent ici ses réactions à mesure que se calment son esprit et sa respiration: l'instinct, le sentiment, l'amorce d'une réflexion.
Dès ce premier vers, s'annonce donc le schéma de son discours: il hurle de colère, puis il mesure l'étendue de son infortune, enfin, il trouve une solution.

Dans une suite d'exclamations, de questions, d'expressions fortes et imagées qui traduisent sa vive émotion, nous le voyons faire le bilan de sa vie. C'est une vie toute consacrée à la gloire, gloire militaire que seule peut obtenir, et soutenir la force physique.
Cette priorité donnée au corps, il ne la conteste pas, il donne, au fond, raison au comte, seulement, il n'avait pas songé qu'elle s'appliquait aujourd'hui à lui. Et la démonstration du comte par cette gifle l'a bouleversé en même temps qu'elle l'a déshonoré.

Il est blessé au point d'avoir envie de tout laisser tomber, cette "nouvelle dignité", qui lui avait fait tant de plaisir, cette gloire illusoire, "en un jour effacée", cette vie, qui se traîne dans "un corps tout de glace".

Il n'a plus qu'un recours. Il va être obligé de laisser au jeune Rodrigue son épée qui ne lui sert plus à rien et le soin de restaurer l'honneur familial :
"Fer, jadis tant à craindre...
Va, quitte désormais le dernier des humains,
Passe, pour me venger, en de meilleures mains".
Nous comprenons le désarroi de ce pauvre homme, et nous le plaignons sincèrement, mais nous sommes surpris et choqués que l'honneur, c'est à dire l'estime de soi, se trouve ainsi subordonné à la loi du plus fort. Où sont, chez ces guerriers, les vraies valeurs? De plus, est-il normal de faire supporter par un autre le résultat de sa désastreuse vanité?

Ces questions ne viennent pas à l'esprit de Don Diègue, pas plus, d'ailleurs, qu'elles ne se poseront à Rodrigue: l'honneur d'un père est sacré, indiscutablement.
Imaginons maintenant notre garçon. Il attend avec impatience le résultat de l'entrevue entre les deux pères. Voici Don Diègue! Plein d'espoir, il accourt vers lui... pour tomber dans le piège que, d'instinct, sans doute, mais avec une rare habileté, celui-ci prépare à son fils (I-5).

Il va le mettre au défi, "as-tu du cœur?", et, sur sa réponse pleine de fierté, dont il le félicite: "Je reconnais mon sang à ce noble courroux", il lui fera, de cet "affront si cruel qu'à l'honneur de tous deux il porte un coup mortel", un récit bien propre à éveiller son indignation, sans en révéler immédiatement le coupable. L'identification sera progressive et d'autant plus cruelle: "un homme à redouter... plus que brave soldat, plus que grand capitaine... c'est... le père de Chimène".

Tout est mis en place, la vraie pièce va pouvoir commencer: A Rodrigue de jouer!

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